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  • Photo du rédacteurRafael

Voir Independiente, et souffrir


joueurs de Independiente célébrant un but

C’est un souvenir à la fois proche et lointain, à la fois doux et dingue. Ce songe, c’est celui de onze mecs habillés de blanc, soulevant la Copa Sudamericana 2017 face à Flamengo, dans l’antre mythique du Maracanã. Quatre ans et demi plus tard, ce rêve éveillé apparaît désormais comme le dernier moment de gloire d’un Independiente aux antipodes de son prestige d’antan. Entre politique sportive quasi-inexistante, dettes qui s’accumulent et conflits d’intérêts en pagaille, celui que l’on appelle aussi l’Orgullo Nacional (la Fierté Nationale) est aujourd’hui, un géant en décrépitude.


De la lumière vers les abîmes


Dire qu’Independiente est un mastodonte du championnat serait enfoncer une porte déjà grande ouverte. Seize fois champion d’Argentine, vainqueur de neuf coupes nationales et toujours détenteur du record du nombre de Copa Libertadores remportées (sept éditions), le Rojo est également un monument sur le continent sud-américain. Club formateur par excellence, qui a fait émerger des joueurs comme Ricardo Bochini, Sergio Agüero ou Esequiel Barco dernièrement, le club a également accueilli en son sein, quelques-uns des plus beaux esthètes du continent, de ceux qui ont donné à la Superliga ses plus belles lettres de noblesses, à l’image d’Arsenio Erico, Jorge Burruchaga ou encore le regretté Albeiro Usuriaga. Un savoir-faire quasiment unique sur le continent et qui fait également sa popularité au pays de Carlos Gardel. Troisième club le plus supporté au pays, le Rojo sait comment faire pour déplacer les foules et aujourd’hui, c’est presque cent mille argentins qui suivent les exploits et les déboires de celui qui fut surnommé, au fil des années, l’Orgullo Nacional. Un surnom équivoque et acquis lors des formidables décennies 70 et 80, si prolifiques en terme de titres.


Pourtant, depuis quinze ans, cet héritage vacille et s’effrite au gré des déceptions emmagasinées. Independiente n’inspire plus la même crainte, ne génère plus la même peur. Pour preuve, son dernier titre national fêtera ses vingt ans cette année et il alterne l’excellent ou le déplorable sur la scène continentale. Pire encore, en 2013, le Rojo a connu, pour la première fois de sa longue vie, l’enfer de la Primera Nacional, la seconde division du pays. Une descente vécue comme une honte absolue, et que les supporters portent encore comme une blessure en bandoulière.


Si la descente a servi d’électrochoc pendant un temps, permettant au club d’empocher un Copa Sudamerica puis une Copa Suruga Bank, depuis 2018, Independiente n’est plus que l’ombre du grand club qu’il était auparavant. Une chute inexorable qui s’explique par une absence de politique sportive, de fortes dissensions en interne, mais aussi et surtout par une gestion économique calamiteuse.


M le Maudit


Alors, soyons honnêtes, depuis la crise de décembre 2001, la majorité des clubs argentins vivent à crédit. Deux ans avant cette crise, le Racing Club, le frère ennemi, était même aux portes de la mort financièrement parlant. Sans la mobilisation des supporters ainsi que l’intervention de la sphère politique, l’autre titan d’Avellaneda ne serait aujourd’hui plus qu’un lointain souvenir. Autant dire que le cas d’Independiente est loin d’être un cas unique dans le petit monde du football gaucho.


Mais désormais, à Avellaneda, c’est n’est plus le club Celeste qui inquiète, mais bien celui frappé de la couleur rouge. Avec à sa tête, un homme qui cristallise toutes les tensions depuis son élection. Président depuis juin 2014, Hugo Moyano est aujourd’hui considéré par les supporters comme le fossoyeur principal de l’institution. Avec son comparse Héctor Maldonado, dit Yoyo, les deux hommes multiplient les quatre cents coups à la tête d’Independiente. Rarement pour le meilleur, souvent pour le pire.


Moyano, c’est un personnage, un vrai de vrai, qui aurait pu sortir de l’imaginaire d’un romancier du XIXème siècle. Un dirigeant à l’ancienne, comme on en fait rarement aujourd’hui, attaché à son club, mais qui se comporte également comme un patriarche présomptueux. Un homme qui a su tisser des réseaux multiples et divers dans toutes les strates de la société argentine et qui s’inscrit dans la lignée des plus grands, à la manière d’un Julio Grondona.


Syndicaliste de la première heure, Hugo Moyano fait malheureusement partie de ceux qui ont troqué les idéaux et les rêves de justice contre des liasses de billets rondelettes et une place au soleil. Devenu entre temps chef du syndicat des camionneurs, président du parti Justicialiste, député à la Chambre puis boss intouchable de la CGT argentine, l’homme multiplie les casquettes et se démultiplie pour être présent sur tous les fronts, n’hésitant pas à souvent se donner en spectacle.


Un triste théâtre qui a forcément des répercussions sur Independiente, qui ne sort jamais réellement indemne des saillies de son arrogant président. Et pourtant, s’il n’y avait que ça. Car comme indiqué plus haut, l’homme aime l’argent. Seul problème : l’argent ne l’aime pas. Pire, il lui brûle les doigts. Mais à chaque fois, ce n’est pas la tirelire personnelle de Moyano qui trinque, mais bien la trésorerie du Rey de Copas.


Estimée à soixante-six millions de pesos en 2012, la dette contractée auprès du fisc par Independiente a (presque) doublé en l’espace de dix années, atteignant désormais la somme inquiétante de cent-dix-sept millions de pesos. En octobre dernier, TyCSports parlait également d’une autre dette, sportive cette fois-ci, et qui s’élevait à quarante millions de dollars.


Si tout n’est pas à mettre sur le dos de Moyano et de Maldonado (car le Covid et la dévaluation du dollar sont passés par-là), il est évident que le rôle du duo dans cette situation est prépondérant. Et si pendant des années, personne n’y a vu que du feu, aujourd’hui, c’est le fisc et la justice qui viennent mettre en lumière les agissements des enfants terribles d’Independiente.


En dépensant des sommes extravagantes, dans des projets souvent grandiloquents, le duo Moyano-Maldonado a largement contribué au creuset de cette dette souveraine. Plus intéressés par l’extra-sportif que par le ballon rond, les deux auront fait n’importe quoi avec le pécule rojo. Et quand l’aspect sportif daigne être abordé, il est complètement saccagé. En huit années, lndependiente a cramé la banque en effectuant pas moins de soixante-six transferts pour un total mirobolant de soixante-quinze millions de dollars. Un tarif exorbitant pour des joueurs très souvent oubliables dans leur immense majorité.


L’année 2021 fut sans aucun doute, l’une des années les plus compliquées pour Independiente. Si sportivement le club a traversé la Copa LPF puis le #TorneoSocios sans grandes vagues, alternant le bon et le très moyen, c’est souvent devant les tribunaux que l’avenir d’Independiente s’est joué. Multipliant les défauts de paiement dans le cadre des transferts de Silvio Romero, Gonzalo Verón, Sebastián Palacios ou encore Gastón Silva, la pile de dossiers « Independiente » s’est empilé sur le bureau des juristes du TAS. Pire encore, début 2022, le quotidien Olé faisait l’état des lieux du mandat de Moyano et en profitait même pour déterrer de nouveaux dossiers. À la longue liste des impayés sont venus s’ajouter les cas de Pablo Hernández, de Carlos Benavídez, de Jonathan Herrera et de Cecilio Domínguez. L’occasion de rajouter de l’huile sur le feu entre la direction et les supporters, mais aussi et par extension, d’alourdir la situation sportive.


Independiente : enfer et décadence

Seule solution désormais pour survivre : vendre. Par tous les moyens et à n’importe quel prix. Cet hiver (l’été argentin), Independiente a encore fait le choix difficile de sacrifier le terrain, afin de survivre une saison de plus. Son meilleur buteur, Silvio Romero, l’un des derniers symboles de l’excellence au sein du conjunto Rojo, a été envoyé plus au nord, au Brésil, à Fortaleza. Alan Velasco, dernier joyau né des entrailles de sa formation, a été bradé et s’est envolé afin de vivre l’American Dream du côté de Dallas.


Un mercato qui fait écho aux derniers mercatos du club. Si sous Jorge Almirón, Ariel Holan ou Sebastián Beccacece, l’argent coulait à flots, depuis fin 2019 et l’arrivée de Lucas Pusineri, Independiente a fermé les vannes et le flot monétaire s’est tari. Désormais, le club se serre la ceinture et n’agit que quand les coups sont libres ou gratuits, quitte à faire n’importe quoi.


L’exemple d’Ezequiel Muñoz est probablement le plus frappant. Arrivé libre et blessé en septembre 2020, l’ancien défenseur de Palermo n’aura jamais joué une minute avec le Diablo Rojo en un an et demi. Pourtant, en 2021, le joueur était le dixième salaire le plus élevé du club, bien loin devant certains joueurs bien plus importants comme Alan Soñora, Sergio Barreto ou Alan Velasco. Une hérésie sans nom et qui confirme une nouvelle fois, le rapport désastreux qu’ont Moyano et Maldonado vis-à-vis de l’argent.


Lors de la dernière période des transferts, alors que des promesses avaient été faites par le directeur sportif Daniel Montenegro (qui a remplacé un Jorge Burruchaga en conflit avec la direction), le nouveau coach, Eduardo Domínguez, a dû finalement composer avec des recrues attrapées ici et là. Le club a même « profité » de la guerre en Ukraine pour rapatrier deux anciennes connaissances du championnat argentin : Gerónimo Poblete et Juan Cazares. Des recrues ciblées sur la base d’un seul critère : la gratuité.


Les seules dépenses effectuées par Independiente cet hiver ? Deux prêts payants (Vigo et Batallini). Le reste ? Utilisé pour payer les clubs réclamant leur dû et rembourser une petite partie de l’énorme dette contractée. Pas suffisant pour se dégager définitivement du bourbier, mais suffisant pour refaire un tour supplémentaire dans le grand manège du football gaucho.


Une saison de plus, oui, mais avec qui finalement ? Depuis six mois, Independiente, qui multiplie pourtant les appels du pied, a de plus en plus de mal à convaincre ses propres joueurs pour parler prolongation de contrat. Si aujourd’hui, tout semble en meilleure voie, il y a encore quelques semaines, il était impossible d’imaginer les renouvellements de Roa, Benavídez ou du meilleur joueur cette saison, Domingo Blanco. Seule une question subsiste encore et toujours : prolonger oui, mais avec quel argent ?

Une politique de récession qui amène ipso facto des résultats déplorables sur le terrain. Seul capitaine valant à peu près le coup dans ce marasme, Eduardo Domínguez semble un peu plus désemparé semaine après semaine. Amputé de ses meilleurs éléments de la saison passée et composant avec un effectif extrêmement limité (malgré quelques joueurs de grandes qualités), Independiente est au fond du trou et a clôturé la Copa LPF dans les bas-fonds de la Zona B, se battant avec Godoy Cruz et Rosario Central pour la place du dernier de la classe.


Pour combler son manque intrinsèque de qualité, le Rey de Copas se voit donc contraint de se tourner vers son centre de formation. Si le club dispose d’un des centres les plus performants du pays, il faut être réaliste : il est difficile pour les jeunes de s’imposer et d’exceller dans un contexte si compliqué. Mais malgré le bazar ambiant, certains, à l’image de Toto Pozzo ou de Thomás Ortega se sont révélés comme indiscutables au sein du XI Rojo. D’autres encore auront probablement une carte à jouer dans les prochains mois, à l’instar du prometteur attaquant Rodrigo Márquez. Une petite lueur d’espoir dans la grisaille ambiante.


En vie oui, mais jusqu’à quand ?

Depuis deux ans, c’est la question qui brûle les lèvres des supporters du Rojo et celles des observateurs du ballon rond argentin. Combien de temps Independiente va-t-il tenir comme ça ? Bonne question, mais il apparaît désormais comme clair que le temps semble compté au sein de l’Orgullo Nacional.

Une situation intenable et qui amène parfois des déclarations toujours plus ubuesques les unes après les autres. Quelques jours avant un match de Copa Sudamericana contre les Vénézuéliens de La Guaira, Lucas Romero, plaque tournante du système rojo, se voit obligé de clarifier les choses et déclare que « le club ne nous doit rien, nous sommes à jour niveau salaire ». Une énième saillie, qui devait apaiser les cœurs, mais qui a finalement remis de l’huile sur le feu entre les frondeurs les plus virulents et la direction incarnée par le duo Moyano-Maldonado.


Un duo bientôt renversé dans ses fonctions ? Peut-être, mais ça, personne ne le sait encore finalement. Si l’avenir est flou d’un point de vue sportif, il l’est encore plus d’un point de vue institutionnel. Car depuis décembre de l’an dernier, le pouvoir est désormais confisqué par le baron Moyano, qui, sentant le vent du boulet, s’accroche tant bien que mal à son trône.


Prévues pour décembre 2021, les élections ont finalement été purement et simplement annulées. Contestée par Hugo Moyano, la liste portée par Fabián Doman a même été rendu caduc par la justice. Résultat, sans réelle opposition, impossible de tenir des élections correctement et en attendant de trouver une solution, c’est Moyano qui reste le boss du camion rouge.


Un énième affront pour le peuple d’Avellaneda et un événement qui marque une réelle bascule dans ce conflit. Depuis fin décembre, sur les réseaux sociaux, les #AndateMoyano pleuvent sous chaque post lié de près ou de loin au club. Après chaque match à domicile, les supporters se réunissent devant le stade et Moyano est toujours pris à partie et est copieusement sifflé et insulté à la sortie de l’édifice. Contre Aldosivi, le 20 avril dernier, la situation a bien failli dégénérer. Venu demander des comptes, un fan s’est fait rabroué par un Moyano passablement nerveux, lâchant des « la c*ncha de tu madre » à tour de bras.


Voilà donc où en est Independiente désormais. D’un club dominant dans son championnat et sur le continent, le club est aujourd’hui à l’agonie sportive et financière. Avec un pouvoir confisqué par un président aux allures de tyran omnipotent, entouré de créanciers prêts à se jeter sur le cadavre encore chaud du club et fonçant droit dans le mur sportif l’Orgullo Nacional est à un tournant de son histoire. La bombe semble prête à exploser. Reste à savoir quand désormais.

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