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  • Photo du rédacteurRafael

LES MILLE ET UNE VIES D'ALBEIRO USURIAGA



Assassiné il y a un peu plus de dix-neuf ans en Colombie, Albeiro Usuriaga fait parti de la liste des joueurs à la carrière tumultueuse et au destin tragique. Bourré de talent mais trop attiré par la vie extra-sportive et les excès en tout genre, le Palomo Usuriaga aura laissé un souvenir impérissable du côté de l’Argentine et plus particulièrement à la Doble Visera, l’ancienne antre des Rojos d’Independiente. Joueur génial, atypique et véritable idole des supporters, Albeiro Usuriaga est probablement l’un des plus gros symboles de l’Independiente des années 90. Mais diable, comment fait-on pour gagner un statut de quasi-légende en seulement deux petites années ?


Mercredi 11 février 2004 à Cali. La vie bat son plein au cœur du quartier du 12 de Octubre. À quelques encablures de l’entrée du barrio, Albeiro Usuriaga est assis à la terrasse d’un bar et profite de la vie, autour de quelques parties de cartes et de quelques verres. Entouré de ses amis, Palomo (la Colombe) est venu se ressourcer quelques jours au pays avant de rejoindre la Chine, pour y relever l’ultime défi de sa longue carrière. Malheureusement, le destin va en décider autrement. Car soudain, au coin de la rue, une moto surgit en trombe. Dans la relative quiétude de ce début de soirée, l’un des occupants de l’engin assène treize balles dans le corps du Palomo, qui succombe sur le coup. Rapidement, la nouvelle fait le tour du continent, qui apprend avec douleur la disparition d’Albeiro, dans un pays encore profondément marqué l’assassinat d’Andrés Escobar, dix années plus tôt, dans des conditions quasi-similaires.


Très vite, les rumeurs vont bon train concernant son décès mais les raisons restent encore aujourd’hui floues. La légende la plus folle veut que Usuriaga soit tombé fou amoureux de la femme d’un des chefs sicario du quartier, au point d’entretenir avec elle, une relation secrète. Le chef, Jefferson Valdez, ne l’aurait pas supporté et l’aurait fait abattre violemment en représailles.

À 37 ans, Albeiro Usuriaga s’éteint donc dans l’endroit qui l’a vu naître et grandir, autant sur plan humain que sur le plan footballistique. Une carrière longue de dix-huit années, frappée du sceau d’un talent incroyable mais aussi de l’amour de la fête, des femmes et des excès à outrance.


La genèse du Palomo Usuriaga


Né en en 1966 à Cali, le jeune Usuriaga grandit dans un quartier difficile, le 12 de Octubre, au milieu de la violence des gangs, du trafic de drogue et de la corruption. Adolescent, Albeiro est d’avantage attiré par le monde de la balle orange et passe ses journées sur les playgrounds de son quartier. Il faut dire qu’avec son mètre quatre-vingt-douze, Albeiro Usuriaga semble plus prédestiné aux raquettes de NBA qu’aux rectangles vert sud-américains. Pourtant, sa vie bascule, lorsqu’un jour, il accompagne des amis lors d’une journée de détection à l’América de Cali. Tapant fortement dans l’œil des recruteurs, Usuriaga se voit proposer un avenir dans le football. Une chance qu’il va rapidement s’empresser de saisir. La légende d'Albeiro était née.


En 1986, il débute en professionnel sous les couleurs des Diablos Rojos colombiens. Immédiatement, Usuriaga crève l’écran. Un peu gauche, parfois emprunté, celui qu’on surnomme déjà le Palomo (rapport à sa grande taille et un smoking blanc qu’il arborait souvent) n’est certes, pas très élégant balle au pied mais il est diablement efficace. Dribbleur génial, le colombien est véloce, rapide, intelligent balle au pied et possède un formidable sens du but. Sa grande taille lui permet également d’être dangereux dans le domaine aérien mais c’est au sol qu’il manie le mieux la pelota. Imprévisible, le colombien est un formidable créateur d’espaces pour ses coéquipiers, qui ne se font pas prier pour transformer les offrandes qu’il délivre.


Malgré des qualités évidentes sur le terrain, Usuriaga est vendu l’année suivante au Deportes Tolima. Là-bas encore, il n’effectue qu’une seule petite saison, avant d’être transféré en 1988 au Cúcuta Deportivo. Dans le nord-est du pays, rebelote, il ne fera qu’une saison avant d’atterrir à l’Atlético Nacional en 1989. Usuriaga a alors 23 ans et son instabilité chronique à s’inscrire durablement dans un club commence à peser lourd sur les épaules de celui qui est toujours considéré comme un espoir en devenir au pays. Heureusement, c’est à ce moment-là que la carrière du Palomo prend son premier envol.


Avec le Verde de Medellín, Usuriaga brille de mille feux et devient un pion essentiel du onze vert et blanc. Décisif, il permet notamment à son équipe de se qualifier pour la finale de Libertadores, en inscrivant un quadruplé contre Danubio. Lors du match retour de la finale, contre les Paraguayens d’Olimpia, le longiligne avant-centre inscrit le second but qui permet de maintenir son équipe à flot, et pendant la séance de tirs aux buts, il inscrit son penalty dans une séance haletante. Le Verde s’impose finalement et Usuriaga soulève enfin son premier trophée.


Dès lors, tout va s’enchaîner rapidement pour le géant. La même année, ce sont les portes de la sélection colombienne qui s’ouvrent à lui. Le temps de qualifier son pays pour la Coupe du Monde 90 (rien que ça), en marquant le but décisif lors du match aller de qualifications contre Israël. Ce but si crucial pour les Cafeteros, ne servira malheureusement pas de ticket gagnant pour l’Italie. La faute à une série de désaccords profonds avec le sélectionneur d’alors, Francisco Pacho Maturana et quelques problèmes comportementaux (il aurait -paraît-il- volé une chaîne en or appartenant à René Higuita).

Qu’importe, le Albeiro n’est pas du genre à se décourager ni à se laisser abattre. Six mois avant un Mondiale 90 qu’il manquera avec la Tricolor, la chance va tout de même lui sourire puisqu’il rejoint l’Europe et le club andalou de Málaga. Un décision importante, aussi motivée par l’arrêt du championnat colombien, après l’assassinat d’un arbitre. À 24 ans, Albeiro Usuriaga s’apprête donc à rejoindre le Vieux Continent.


La découverte de l’Europe et la consécration sud-américaine


Usuriaga pose donc ses valises en Andalousie en mars 1990, rejoignant un Málaga en difficulté et qui lutte pour sa survie en Liga. Premier joueur colombien de l’histoire du football espagnol, Palomo débute plutôt bien sous ses nouvelles couleurs et montre très vite toute l’étendu de son talent. Pourtant la situation va rapidement se dégrader. Málaga n’avance pas au classement et doit jouer les barrages de promotion contre l’Espanyol de Barcelona. Un tour de barrage acquit grâce à un but du grand colombien (son seul en Liga), contre Tenerife. Une défaite et une relégation plus tard, les relations entre le club andalou et Usuriaga s’enveniment brutalement. Initialement prêt à rester au club malgré la descente, il fait finalement volte-face quelques semaines plus tard. Le colombien s’embrouille avec son entraîneur pour des considérations d’ordre tactique et se plaint de la pelouse de La Rosaleda, qu’il juge "trop grasse, trop mouillée” pour pratiquer un football de qualité. Il sèche trois jours d’entraînements et passe son temps à jouer au football avec les enfants du quartier Martiricos, le quartier où il réside. C’en est trop pour le club andalou qui finit par accepter une offre de l’América de Cali qui souhaite rapatrier son ancien joyau. Une année et quinze matchs plus tard, l’aventure andalouse se termine pour Palomo.


De retour en Colombie, Albeiro Usuriaga en profite pour redevenir le cador qu’il n'aurait jamais dû cessé d'être. Palomo fait de nouveau parler sa vélocité et son sens du jeu. Ses grandes cannes sont toujours aussi imprévisible lorsqu’il s’agit de prendre le meilleur sur son vis-à-vis et à nouveau, il redevient un maillon essentiel dans le système des Diablos Rojos colombiens. Il en profite aussi pour garnir un peu plus son armoire à trophée. Deux titres de champions de Colombie viennent s’ajouter à sa Copa Libertadores. Il fait aussi son retour en sélection après deux ans d’absence, pour la Copa América 1991, qui voit les Cafeteros finir quatrième. Il ne le sait pas encore, mais le match disputé contre l’Argentine sera son dernier sous le maillot colombien.


Après deux années et demi pleines dans son pays, Albeiro a de nouveau des envies d’ailleurs. Et ça tombe plutôt bien car l’América est enclin à lâcher son joueur. Si il répond toujours présent sur le terrain, ses frasques et son goût pour la vie nocturne passent de moins en moins bien auprès la direction. Provocateur, il n’hésite pas à défier son entraîneur, frontalement ou plus subtilement parfois. Comme ce jour où, en plein aéroport, il fut viré du rassemblement par son coach car il portait un costume bleu, alors que l’entraîneur avait expressément demandé à ses joueurs de se vêtir d’un costume gris. Désormais, la rupture est consommée par La Mechita de Cali et c’est d'autres Diablos, ceux d’Independiente, qui raflent la mise.


En 1994, Albeiro débarque donc à Avellaneda et rejoint le Rojo d’Independiente. Cette décision sera sûrement la meilleure de sa carrière. Entouré par des joueurs comme Sebastián Rambert ou Daniel Garnero et sous la houlette du génial Miguel Ángel Brindisi, Palomo devient l’un des pivots inamovibles d’un Rey de Copas conquérant. Plus qu’un simple joueur, il devient un symbole. Son jeu de jambes et son charisme naturel en font un joueur très apprécié à la Doble Visera. Usuriaga est partout. À la création comme à la finition, son apport est conséquent et il ne compte pas les efforts sous la tunique rouge. Son retour en grâce permet à Independiente de rafler trois titres : le Torneo de Clausura 1994, la Copa Sudamericana et la Recopa Sudamericana, où il ne cesse d'être décisif, empilant par paquets les buts et les dribbles imprévisibles, mais terriblement efficaces. Sur le plan des récompenses personnelles, le Palomo est même nommé dans le très célèbre Once Idéal d’Amérique du Sud. Mais pour Albeiro, le bonheur est autre part.


Il m’a toujours dit que son plus grand rêve était de faire la couverture d’El Gráfico, en tant que joueur de basket-ball.
Un ami proche d’Albeiro Usuriaga dans le documetaire “La Jaula del Palomo”.

Bassiné depuis petit par les exploits relatés dans les colonnes d'un des plus grands médias d'Argentine, le rêve ultime du jeune Albeiro était de faire la une du Gráfico. Vœu exaucé après un match contre Banfield décisif pour le titre, où le géant colombien brille de mille feux. Si il n’est pas devenu basketteur, il est un footballeur formidable qui distille de la joie et du bonheur au public de la Doble Visera. Au sommet de son art cette saison-là, Usuriaga est aussi au firmament de sa carrière. Car c’est à ce moment que commence la chute du Palomo.


La déchéance d’Albeiro


À Independiente, Albeiro est devenu aux yeux des gens, une sorte de légende. Son charisme, sa générosité et son amour réciproque pour la hincha de la Doble Visera lui a conféré un certain statut. Avellaneda est sa maison et la Doble Visera son jardin. Pourtant, l’état de grâce ne dure qu’un temps. Lors de sa seconde saison, le rendement d’Usuriaga sur le terrain ne diminue pas franchement, mais comme d’habitude, le courant avec l’entraîneur ne passe plus. Brindisi parti, les relations avec Pavoni puis avec Miguel Ángel López se dégradent. L’idole en devenir se transforme en boulet pour ses coachs et finalement, au milieu de l’année 1995, il est envoyé au Mexique, à Necaxa.

C’est au Mexique que les ennuis du Palomo commencent réellement. Sportivement, il n’est pas au niveau et ses prestations le relègue rapidement sur la banc de touche. Mentalement, c’est pire. Usuriaga est quasiment au fond du trou. Son quartier lui manque, sa ville lui manque. En bref, le géant colombien a le mal du pays. La Colombie qui, justement, ouvre une enquête sur lui après l’achat d’une moto volée, qui aurait servit à commettre quelques larcins. Finalement blanchi par la justice de son pays, mais ne sentant pas chez lui à Necaxa, le colombien n’en peut plus et quitte le Mexique, après une poignée de matchs et seulement quelques mois, malgré un titre de champion de Mexique, auquel il n’a que peu participé.


Retour à la case départ pour Usuriaga qui atterrit de nouveau à Independiente. À Avellaneda, le colombien retrouve son niveau, mais seulement par intermittence. Et même si la relation avec les supporters est toujours aussi puissante et forte, sur le terrain, ce n’est pas la même chose que lors du premier passage. Albeiro n’a plus trop la tête au football et passe son temps à sortir, à écouter de la musique et vit la nuit. La fête et les excès prennent le pas sur le sportif. Il dépense sans compter son argent pour aider les jeunes de son quartier à Cali, dans des voitures de luxe mais aussi malheureusement dans l’alcool et la drogue. Et le couperet tombe. En 1997, la fédération le suspend deux années après un contrôle anti-drogue positif à la cocaïne. Deux années seulement car Albeiro est jugé comme un consommateur expérimental et non régulier. Détruit par le jugement, Usuriaga prend la lourde décision de quitter l’Argentine et de rentrer en Colombie.

En Colombie, le géant choisi de continuer le football. En 1998, il s’engage avec Millonarios puis avec l’Atlético Bucaramanga en 1999. Mais le cœur n’y est plus et Albeiro tombe dans une profonde dépression. Il s’enferme chez lui, et sombre petit à petit dans la torpeur. Il fait même un court séjour en prison après avoir frappé un policier qui l'avait arrêté pour une prétendue insubordination. La naissance de sa fille le sauve de sa tourmente et Usuriaga se remet en selle. En 2000, après avoir purgé sa suspension, il retourne en Argentine et s’engage en troisième division avec General Paz Juniors. À l’aube de l’an 2000, terminé le Palomo aux dreadlocks. Il se rase les cheveux, sort sa meilleure teinture blonde et se dote de chaussures blanches. Changement de style radical pour une renaissance immédiate. Sa seule saison sous ses nouvelles couleurs se termine en apothéose car le Poeta de General Paz Juniors termine sa saison dans la peau d’un promu. Comme à Independiente, le public se prend d'amour pour son milieu et devient une idole chez les Poètes de Córdoba. Cette promotion, dont Palomo est le fer de lance, est le dernier soubresaut de sa carrière.


Entre 2000 et 2003, le colombien passe par All Boys, le Sportivo Luqueño au Paraguay et Carabobo au Venezuela. À chaque fois sans réel succès, malgré quelques fulgurances entrevues ici et là. En échec sportif en Amérique du Sud, Albeiro devait s’envoler pour la Chine afin de s’offrir un dernier baroud d’honneur, avant de prendre sa retraite dans son quartier pour y élever sa fille. Mais son assassinat brutal, quelques mois avant ses 38 ans, fait qu’il ne verra jamais l’Empire du Milieu.


Et ainsi, naquit la légende éternelle du Palomo


Le lendemain de son décès, Independiente reçoit les péruviens de Cienciano pour un match de Libertadores. Dans les tribunes, des dizaines de banderoles sont érigées en hommage à Albeiro Usuriaga. Dès les début du match, des “Palomo ! Palomo ! Palomo !” descendent des tribunes, cri du cœur repris à l’unisson par un stade qui pleure la perte brutale et violente de son idole. Porté par un public en feu et par l’esprit malin d’Usuriaga sûrement, Independiente vient à bout des Péruviens sur le score de 4-2.

Depuis ce triste de jour de février 2004, il ne se passe pas un mois sans que les hommages pleuvent de partout pour Albeiro. Chaque club se souvient de sa gentillesse, de sa générosité, de son excentricité mais surtout de son talent fou. Son caractère difficile et imprévisible a très probablement tué dans l’œuf une brillante carrière et son parcours laisse forcément des regrets tant le bonhomme respirait le football. Encore très populaire dans son pays malgré sa disparition précoce, il est régulièrement cité comme l’un des joueurs phares de la génération des années quatre-vingt-dix, et l'un de ses plus talentueux représentants.


Mais il était comme ça Albeiro Usuriaga. Un joueur hors-norme dans tout les sens du terme. La tête dans les nuages, la main sur le cœur et le pied sur le ballon. En ce 11 février 2004, il est parti rejoindre son coéquipier Andrés Escobar afin de compléter un peu plus la constellation de ces joueurs aux vies brisées. Et chaque soir de match au Libertadores de America, on se prend à rêver que, parmi les étoiles brillantes du ciel, l’une d’entre elles soit l’immense Palomo. Car si lui n’est plus, sa légende, elle, est éternelle.

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