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  • Photo du rédacteurRafael

Dans l’œil du Tigre


Ricardo Gareca lors de la Coupe du Monde 2018

Ils l’ont encore fait. Bien mal-engagé au début des phases de qualifications pour la Coupe du Monde 2022, le Pérou a finalement accroché une place de barragiste après un rush final haletant. Profitant des méformes du Chili et de la Colombie, les Incas ont su déjouer les pronostics pour se frayer un nouveau chemin vers les barrages, cinq ans après une qualification historique pour la Coupe du Monde 2018. Si le billet pour Doha n’est pas encore validé pour les Incas, cette cinquième place est déjà vécue comme un réel succès au pays de César Moro, qui se met de nouveau à rêver d’une participation à un Mondial. Derrière cette franche et singulière réussite, se cache le travail titanesque d’un homme : Ricardo Gareca.


L’ombre du Doctor Bilardo


La silhouette est fine et élégante. Les cheveux sont longs et s’éclaircissent de plus en plus au fil des années, et une barbe grisonnante est même venue lui couvrir le menton, comme un signe de sagesse. Mais le regard lui, est toujours vif, presque perçant, quasiment envoûtant. Et sur ses frêles épaules, reposent tous les espoirs de trente-et-un millions de Péruviens.


Sélectionneur du Pérou depuis l’année 2015, Ricardo Gareca est un personnage fort dans le paysage du football sud-américain. Pourtant, s’il est aujourd’hui considéré comme un Inca à part entière et que son attachement à la patrie péruvienne ne fait plus aucun doute, c’est à environ 3900 kilomètres de Lima, la capitale péruvienne, que le Tigre est né.


Pour mieux connaître Ricardo Gareca, il faut commencer par quitter le Pérou et traverser l’Altiplano, pour atterrir en Argentine et plus précisément à Tapiales, dans le Gran Buenos Aires. Pourtant, si c’est dans cette petite bourgade que le jeune Gareca tape dans ses premiers ballons, ce n’est pas à Tapiales que le futur sélectionneur péruvien apprend les rudiments du football, mais bien à l’est de la Capitale Fédérale, dans le quartier mythique de La Boca.


Membre de toutes les équipes de jeunes des Xeneizes depuis son plus jeune âge, c’est en 1978 que le Tigre débute en professionnel, lors du traditionnel Torneo Metropolitano (ou simplement Metro pour les Argentins) de la même année. Attaquant longiligne, infatigable avaleur d’espace, pas forcément adroit avec le ballon, mais doté d’un solide sens du but et d’une grosse détermination, le jeune Gareca va promener le temps d’une année sa grande carcasse à Sarmiento, avant de régaler, en buts et en gestes de grande classe, la Bombonera, durant cinq saisons. Puis de La Boca, là où tout a commencé, le pibe file à Nuñez le temps d’une petite saison à River Plate, avant de s’envoler pour Cali et la Mechita de l’América.


Quatre années de vadrouille colombienne plus tard, le voilà de retour au pays, avec le maillot de Vélez Sarsfield sur les épaules. Un transfert anodin ? Pas sûr quand on connaît la passion du bonhomme pour le club au scapulaire bleu marine. Le temps pour lui d’empiler les buts, puis de devenir un joueur majeur au sein de son club de cœur, avant de clore sa carrière en effectuant une dernière pige à Avellaneda, chez le Rojo d’Independiente.


Alors forcément, seize années dans le football, ça marque. Au fer rouge même, et surtout quand on a eu la chance de côtoyer le gratin du football sud-américain. Partenaire en club du Cabezón Oscar Ruggieri à Boca Juniors, du Bulldog Chilavert à Vélez, ou de Jorge Burruchaga à Independiente, le maigre attaquant a même eu la chance d’évoluer quelques temps aux côtés du Pibe de Oro Diego Maradona. Si le côté terrain offre de beaux souvenirs, qui viennent romancer une carrière un peu avare en titre, c’est surtout du côté de la zone technique que Gareca puise, encore aujourd’hui, les fondements de sa vision footballistique. Ami de longue date du Virrey Carlos Bianchi, avec qui il se partage l’amour du peuple de Liniers, c’est pourtant un autre entraîneur qui va profondément marquer le jeune Ricardo Gareca : Carlos Bilardo. Si le Flaco ressemble plus physiquement à César Luis Menotti, autre grand penseur du football argentin, ce sont bien les idéaux du Docteur qui vont influencer indirectement Gareca.


Pragmatique, charismatique, sévère mais agissant comme un père envers ses joueurs, le Narigón tourmente ses ouailles, et particulièrement Gareca, n’hésitant pas à « lui faire retirer les coups de pieds arrêtés une trentaine de fois par séance ». Une répétition jusqu’à la lie de l’effort, un goût prononcé pour le souci du détail, une confiance totale en ses joueurs et une énorme rage de vaincre. Rien de plus, rien de moins. Et ce qui faisait la légende de Carlos Bilardo hier, fait aujourd’hui celle de Ricardo Gareca.


Pourtant, si la filiation semble évidente tant elle crève les yeux pour certains, il faut être honnête, cette relation « père-fils » n’existe pas entre le Doctor et le Tigre. La faute à une non-convocation pour le Mondial 86, alors que Gareca avait inscrit le but validant le ticket de l’Albiceleste pour le Mondial mexicain, et ce, face...au Pérou.


Un crève-cœur qui a hanté le tapialense pendant de nombreuses années suivant la fin de sa carrière. Malgré les histoires, les rancœurs et les prises de bec, la situation s’est désormais apaisée, le temps venant estomper les blessures. Et aujourd’hui, impossible de ne pas voir une filiation à minima indirecte entre les méthodes de l’ancien sélectionneur argentin et celles du Tigre Inca.


La méthode Gareca, ou l’annihilation de l’imprévu


En mars 2015, lorsque Ricardo Gareca est intronisé à la tête de la Blanquirroja, le choix interpelle et interroge certains journalistes péruviens. Le coach argentin dispose pourtant d’un solide CV, avec des passages couronnés de succès, notamment à Talleres et à Vélez, où il finit d’asseoir sa légende en empochant trois titres de champion. Mais depuis quelque temps, la méthode du Tigre vacille quelque peu. À Palmeiras, l’aventure n’aura durée que cinq petits mois et aura été une vraie traversée du désert pour l’Argentin. Pas aidé par les prestations en demi-teinte de ses recrues estivales et en difficulté en championnat, le technicien est remercié cinq mois après une arrivée en fanfare chez le Verde.


Pourtant, si ses méthodes sont sujettes à de nombreux débats dans la médiasphère péruvienne, la confiance et le moral sont au beau fixe dans les rangs de la fédération, ainsi que chez les supporters de la Blanquirroja. Car au pays, personne n’a oublié son passage victorieux à la U de Lima en 2008, lorsqu’il a permis à la Crema de remporter son premier titre de champion depuis 2002.


Nouvellement intronisé chef Inca, la mission confiée par la fédération est ardue. Sur le continent, il s’agit de continuer le travail entamé par ses prédécesseurs, notamment par Sergio Markarián. Le Pérou, troisième de la Copa América 2011, relève timidement la tête, après trois décennies de galère, oscillant entre de très belles campagnes de Copa América, et de retentissants cataclysmes.


Si l’objectif est de continuer à solidifier la place du Pérou en Amérique du Sud, Edwin Oviedo, le boss de la FPF, a une autre idée en tête. Si en 1985, Gareca avait privé les Péruviens de Coupe du Monde au Mexique, changement de programme trente ans plus tard : le chevelu argentin doit emmener les Incas en Russie coûte que coûte afin de faire vivre de nouveau à la Blanquirroja, l’ivresse d’un Mondial.


Une mission que Gareca va remplir haut la main. Troisième de la Copa América 2015, quart-de-finaliste lors de la Copa América Centenario, le parcours de la Blanquirroja sur le continent ne cesse d’étonner depuis la prise de pouvoir de l’Argentin. Sur le plan mondial, même son de cloche. En 2017, après une remontée fantastique lors de la phase de qualification, le Pérou s’offre le droit de jouer les barrages de Coupe du Monde, face à la Nouvelle-Zélande. La suite est encore plus belle. En deux matchs, les Incas imposent leur loi et disposent des All Whites. L’été suivant, le Pérou foule les pelouses russes lors du Mondial, trente-six années après la génération Cubillas. Trois petits matchs plus tard, les Péruviens repartent avec des sentiments contrastés : celui d’être passé proche d’un exploit et celui du travail bien fait.


Malgré une finale face au Brésil lors de la Copa América 2019 et une demi-finale en 2021, l’état de grâce du Pérou semble s’être amoindri depuis le Mondial. Pourtant la méthode Gareca, elle, semble toujours porter ses fruits, en témoigne cette nouvelle cinquième place lors des Éliminatoires pour le Mondial 2022. Mais surtout, elle ne souffre d’aucune contestation, chez les supporters, comme au sein de son propre groupe. Ce qui fait triompher le Pérou depuis sept ans ? L’adhésion pleine et entière des individualités péruviennes, qui se mettent au service du collectif. Car avant d’être sélectionneur du Pérou, Gareca reste, avant tout, un entraîneur argentin. Des entraîneurs qui ont toujours eu tendance à conceptualiser, à penser et à théoriser leurs approches tactiques, même les plus simples et les plus évidentes. Gareca, qui s’inscrit dans la droite lignée de ses contemporains, n’échappe évidemment pas à la règle.


À l’image de son Pérou aujourd’hui, et comme Carlos Bilardo en son temps, le Tigre se montre intransigeant voir exigeant, parfois jusqu’à l’extrême. Le but de la manœuvre ? Faire en sorte de pouvoir contrôler jusqu’à l’imprévu pour pouvoir l’annihiler le plus rapidement possible et faire du collectif péruvien, un rouleau compresseur imperméable à la pression et aux nombreuses variables qu’offre le football moderne. Une méthode, à la fois simple et compliquée, et qui repose sur trois grands axes, développés au fil des années.


Premièrement, une utilisation à outrance de l’analyse vidéo. Un exercice bénéfique pour les joueurs, qui permet de mieux comprendre les attentes et les consignes du coach argentin. S’il apparaît comme facile de coucher des noms sur un tableau noir, il est en revanche, bien plus difficile d’expliquer un positionnement ou un comportement à avoir avec ou sans ballon. Cette utilisation, parfois excessive de la vidéo, permet à Ricardo Gareca d’impliquer au maximum ses joueurs, mais surtout, de faire comprendre, afin de leur donner toutes les cartes en main pour créer une véritable émulsion. Une volonté méliorative envers ses joueurs, érigée depuis, comme clé de voûte du bon fonctionnement péruvien. Une plus grande intelligence tactique couplée à une approche intellectuelle de l’effort, qui offre à la Blanquirroja le luxe de l’adaptabilité schématique. Si durant le mandat du Flaco, le 4-1-4-1 a été instauré comme le système préférentiel, la donne n’est plus la même aujourd’hui et le Pérou sait s’adapter pour faire face à tous les cas de figure. Du 4-2-3-1, en passant par le 4-5-1, la sélection péruvienne est devenue une équipe modulable selon les besoins, capable aussi bien de confisquer le ballon que de parer les offensives incessantes des grosses écuries d’Amérique du Sud. Si le Pérou n’est clairement pas l’équipe la plus attrayante du continent, elle est l’une des plus efficaces et même un grain de sable, qui viendrait s’intercaler dans les rouages, ne suffirait (presque) plus aujourd’hui à faire déjouer cette équipe.


Enfin, et si l’on fait fi des considérations tactiques et techniques de cette équipe, ce qui fait la force des Incas, c’est bel et bien son groupe. Un groupe uni, qui n’a que très peu changé en sept ans et qui se connaît sur le bout des doigts. Handicapé par un vivier national limité et par un championnat considéré (à juste titre) comme l’un des plus faibles du continent, Gareca a pu d’abord compter sur le bon travail d’intégration de Markarián, puis de Bengoechea avant d’incorporer des joueurs qui deviendront, par la suite, ses plus fidèles soldats sur le terrain, mais également en dehors.


Si certains comme Yoshimar Yotún, Edinson Flores, Christian Cueva, ou Miguel Trauco étaient déjà installés au sein de la Blanquirroja, d’autres comme Luis Abram, Renato Tapia ou Sergio Peña ont profité de la nomination de Gareca pour se frayer un chemin vers la sélection. Un syncrétisme générationnel qui a immédiatement fonctionné avec les légendes de la génération 84 (Jefferson Farfán et Paolo Guerrero) et les plus anciens ayant connu l’épopée de 2011. Loin d’avoir vu tout cela comme une concurrence ou comme une envie de tout chambouler, l’arrivée massive de joueurs entre 2015 et 2022 fut bénéfique pour la santé footballistique du Pérou, en témoigne par exemple, le rendement du Depredador Guerrero, véritable légende au pays et devenu meilleur buteur du Pérou sous l’ère du Tigre, avec dix-huit buts inscrits (sur trente-neuf buts au total).


Cette image de frères d’armes prêts à partir à la guerre est devenue un véritable argument aujourd’hui pour attirer les jeunes péruviens possédant une double-nationalité. Depuis deux ans, le Pérou joue sur cette image ainsi que sur sa régularité sportive pour attirer de nouveaux joueurs dans ses filets. C’est ainsi que Santiago Ormeño, mexico-péruvien, et Gianluca Lapadula, italo-péruvien, ont rejoint la sélection. Deux éléments de qualité et qui viennent renforcer un peu plus un collectif bientôt orphelin de son idole Paolo Guerrero.


L’amour dure t-il sept ans ?


C’est vrai que présenté comme ça, le bilan de Ricardo Gareca est extrêmement flatteur. Peut-être même trop. Car des points d’anicroche, le Pérou et le Tigre en ont connu. Malgré la petite révolution enclenchée par le mago de Tapiales, le Pérou reste tout de même une équipe aux limites assez équivoques, se comportant parfois fortement face aux faibles et faiblement face aux forts. Malgré une nouvelle qualification pour les barrages de Coupe de Monde, le Pérou montre des signes d’essoufflement depuis 2019, et se doit de faire le bilan.


Si la sélection a su brillamment réagir après un départ catastrophique, elle doit également sa place de cinquième aux méformes d’un Paraguay aux abonnés absents, d’un Chili sur la fin de sa génération dorée et d’une Colombie entamant, elle aussi un nouveau cycle. Des turbulences en interne, le Pérou en a affronté quelques-unes. Invité d’honneur de la chaîne ESPN il y a quelques semaines, le technicien argentin déclarait : « Je n’ai compris les choix de Bilardo que le jour où je suis devenu moi-même sélectionneur ». Une phrase qui paraît anecdotique certes, mais qui fait écho aux nombreux problèmes qu’a pu connaître Ricardo Gareca avec certains joueurs, notamment avec Raúl Ruidíaz et Cristian Benavente, tous les deux écartés de la sélection aujourd’hui.


Ruidíaz, qui n’a pas apprécié d’être relégué au second plan durant la longue blessure de Paolo Guerrero puis d’être mis sur le ban des sélectionnables avec l’arrivée de Lapadula, semble avoir fait une croix définitive sur la sélection, après avoir refusé les dernières capes en mars dernier. Pour le second, c’est un choix fort de Gareca, qui estime que l’hispano-péruvien n’aurait pas dû signer en Égypte en 2019, à cause d’un championnat « qui n’offrait pas un niveau suffisant pour qu’il puisse s’épanouir en tant que joueur de foot ». Des choix tranchés et quasi-définitif de la part du sélectionneur, mais qui ont fragilisé un temps l’image du groupe solide construit de sa propre main.


Finalement, l’amour dure t-il sept ans ? Dans le cadre de la romance entre les Incas et le Gaucho, probablement oui. Arrivé au bout d’un cycle avec le Pérou, Ricardo Gareca devrait, sauf retournement de situation, quitter son poste, après les barrages, ou après le Mondial, si Coupe du Monde il y a, bien évidemment.


Alors, à l’heure de faire les comptes, impossible de minimiser l’impact qu’a eu le tapialense sur le renouveau du football péruvien. Venu sur la pointe des pieds après un échec brésilien, Gareca a su trouver l’équilibre parfait entre la continuité du travail effectué par ses prédécesseurs et sa propre formule. Un travail titanesque qui lui permet aujourd’hui d’être l’entraîneur avec la plus grande longévité sur un banc sud-américain (et ce depuis le départ du maestro Óscar Tabárez), mais également d’être le coach ayant dirigé le plus de match à la tête de la Blanquirroja.


Âgé de 64 ans, aujourd’hui, Gareca a peut-être également des envies d’ailleurs. Déjà annoncé sur le départ après la Copa América de l’été dernier, les rumeurs allant dans ce sens se font de plus en plus insistantes. Si le Chili s’est positionné depuis quelques mois pour récupérer l’ancien Xeneize, c’est actuellement la Colombie qui tiendrait la corde et qui trouverait grâce aux yeux du Flaco. Mais pour l’heure, pas question pour l’Argentin de penser à ça. Dans moins de deux mois, lui et ses hommes ont l’occasion d’écrire l’histoire de la sélection à la bande rouge. Le rendez-vous est pris pour juin, afin de voir si les formules magiques du sorcier Gareca vont opérer.

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